Regard sur la jeunesse de Georges
October 4th, 2010 by Christian AllègreAppel de Théo Khal ce midi, 4 octobre 2010. Il accuse réception de mon récent courriel, où je lui ai demandé d’écrire “un petit laïus” sur l’enfance et l’adolescence de Georges. Il me promet de le faire bientôt. Je ne suis pas sûr que l’enfance et l’adolescence de Georges soit un sujet qui passionne tout le monde, mais moi oui, qui l’ai connu si proche encore de son adolescence, une adolescence rétive, dont l’intelligence s’est déjà heurtée à la bêtise des règlements scolaires, à l’incompréhension et l’étroitesse d’esprit des adultes. #
Ted est arrivé avec Georges par bâteau à Halifax en septembre 1951, me raconte-t-il. C’est donc à 6 ans que Georges est arrivé au Canada, et non à 8. Son père a eu toutes les misères du monde à lui trouver une place à l’école. Il a abouti pensionnaire chez les Carmélites à Jacques Cartier. Période difficile pour le petit Georges. Il parle le français “châtié” qu’on lui a appris au lycée français de Beyrouth. Les autres enfants se moquent de lui. Parce qu’un ostracisme similaire a marqué ma propre enfance, je suis persuadé que ce rejet par ses semblables a marqué Georges aussi, sans doute pour la vie. Son père en parle encore aujourd’hui en tous cas. #
Théo retire donc Georges de cette institution où il souffre et le met chez les soeurs du Mont Jésus-Marie à Outremont. Il y devient un brillant élève. L’été, il passe quelque temps dans un camp pour enfants musiciens près de Boston. Il est violoniste. Il y a pour professeur, entre autres, Pierre Monteux, célèbre violoniste et chef d’orchestre, qui doit bien avoir alors 80 ans à cette époque… Un jour il se fait voler son violon. Ted raconte que malgré son offre répétée, Georges, dégoûté, ne voulut jamais que son père lui en rachète un autre. Étrange! #
Au terme de ses études primaires, le jeune Georges Khal est accepté au Collège Brébeuf avec une note de passage de 90% et tous les honneurs. L’administration du collège souhaiterait avoir ce bon élève dans ses rangs. Ils appellent Théo régulièrement. Mais les soeurs veillent au grain. Elles convainquent le papa que Brébeuf est un repère pour nouveaux riches, où des chauffeurs viennent à la sortie des cours chercher les étudiants qui n’ont d’autre souci – ô horreur – que de “courir le jupon” ! Le papa s’effraie et met son fils au petit Séminaire, i.e. au Collège de Montréal, où Georges sera régulièrement premier de classe mais très, très malheureux, en conflit presque constant avec des censeurs, des préfets de discipline, et une administration imbéciles.
En 1993, Georges avise dans ma bibliothèque un livre sur la basilique pythagoricienne de la Porte Majeure à Rome. Je l’ai acheté d’occasion à la librairie Henri-Julien. Sa particularité est que la couverture du livre porte une énorme et très disgracieuse signature à l’encre, qui la recouvre de part en part, en travers des titre et nom de l’auteur. Georges m’explique que ce livre, dont il reconnaît le paraphe, a appartenu à l’un des préfets abhorrés du séminaire qui lui ont mené la vie dure : un savant, dit-il, mais une brute. Je lui ai donné le livre. Il l’a accepté, la rage ancienne s’étant transformée avec le temps en un plaisir douloureux. Ô Freud ! #
(à suivre) #
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October 6th, 2010 at 17:16
Merci Christian pour toutes ces informations passionnantes !
A propos de l’arrivée de Georges à Halifax à l’âge de 6 ans, je me souviens qu’il m’avait dit un jour : “je découvrais un port froid bien-sûr, mais surtout un monde en noir et blanc, alors que j’arrivais d’un monde en couleur”. Ton texte m’a remis la formule en mémoire.
Quelle bonne idée d’avoir demandé à Théo de nous parler de Georges enfant. Bravo ! La suite, vite ! Encore merci.
October 9th, 2010 at 00:55
Cher Christian, quel beau texte! Le lien entre toi et Georges – ce qu’il était, ce que tu en fais- suscite beaucoup d’émotions, indeed…