Deux messages de Jean-Michel Sivry
August 18th, 2010 by Christian AllègreQuand Georges et moi l’avons rencontré, en 1975, Jean-Michel Sivry était pdg des éditions Flammarion Québec (il l’est toujours), et en 1977, il est devenu, au nom de Flammarion et avec Mainmise, l’éditeur du Répertoire Québécois des Outils Planétaires. Je l’ai averti du décès de Georges, qu’il avait déjà appris, et à l’occasion de cet échange, il m’a écrit deux messages que je partage avec vous. #
Jean-Michel: #
Mais quelques mots d’introduction s’imposent, qui vont me permettre de souligner l’importance de Jean-Michel et de rappeler quelques pages d’histoire mainmisienne. #
Dès les débuts de l’aventure du Répertoire québécois des Outils planétaires, j’ai entrepris de rechercher et de recenser les publications disponibles en français susceptibles d’être un “outil planétaire”, et pour ce faire, j’ai contacté les éditeurs. J’ai beaucoup parlé au téléphone à cette époque, et les éditeurs, tant québécois que français, ont fait bon accueil à l’idée du Répertoire. #
Trois éditeurs français, en particulier, ont marqué un intérêt particulier pour notre projet et pour Mainmise: Jean-Michel Sivry est l’un d’eux, les autres sont Rolf Puls, des éditions Gallimard et Pascal Assathiany, de Dimédia, représentant entre autres des éditions du Seuil, une maison alors bien plus importante qu’aujourd’hui dans la vie intellectuelle. Ils étaient prêts à mettre à notre disposition des livres, et à nous faire bénéficier du service de presse. #
C’est ainsi qu’une fois par mois environ, Georges et moi nous rendions à Ville St-Laurent, pour choisir une large sélection de parutions. C’est de cette façon que Georges, dont la jeunesse avait été baignée de littérature française et qui n’avait jamais cessé de lire en français ni de fureter dans les librairies françaises d’occasion, s’est remis à s’intéresser activement aux recherches et aux ressources françaises. #
Pour justifier le service de presse, en 1975-1976, nous avons tenu dans Mainmise une chronique de livres assez remarquable, je pense, que Georges avait intitulée “Y en a qui appellent ça des livres, nous on appelle ça de l’énergie”. Cette chronique très variée, et rédigée par toute l’équipe, nous valut des éloges et les éditeurs étaient ravis de se voir ouvrir un nouveau public. Quant à nous, nous explorions le domaine français à la recherche de livres phares et de ressources pour le Répertoire. Des pages de cette chronique furent affichées par Gallimard et Flammarion dans leurs stands respectifs au Salon du livre 1975. #
Georges profita de l’afflux pour rencontrer des auteurs qu’il avait lus, à diverses époques, et aimés: Michel Tournier (photo), François-Régis Bastide, Jean-Louis Curtis sont les noms qui me reviennent. #
Une parenthèse concernant Michel Tournier : il venait de publier Le roi des aulnes, livre que Georges avait porté aux nues. Tournier était venu à Montréal pour la rencontre des jurés Goncourt, qui avait été invités cette année-là (par Paul Desmarais, si mon souvenir est bon) à tenir leur première séance au Québec. #
L’auteur de Vendredi et les limbes du Pacifique et du Roi des aulnes fut invité et vint à Mainmise sans attaché de presse, il participa à un mémorable souper sur la terrasse avec d’autres écrivains, dont Bastide, et le lendemain nous partîmes tous en voiture pour Morin Heights, où Paul Chamberland, lecteur lui aussi de Michel Tournier, nous avait invités. #
Quant à François-Régis Bastide, Georges et Marie-Thérèse se rappelaient surtout La vie rêvée. Quelle ne fut pas notre surprise, Georges et moi, de nous découvrir avec lui une vénération commune pour Jean Giraudoux et les romantiques allemands, que Michel Tournier adulait aussi. “Surtout Hölderlin”, disait-il. “Surtout Novalis”, répondions-nous. #
Bastide et moi passâmes le dîner à nous lancer des bouts de phrase tirées des oeuvres de Giraudoux… #
Mais les souvenirs affluent et culbutent… il y a tant d’auteurs qui vinrent nous voir à Mainmise et nourrirent notre vie intellectuelle… #
Pour en revenir à Jean-Michel, il s’intéressa de très près à l’aventure du Répertoire. Il comprit ce que notre entreprise devait à l’Encyclopédie de Diderot, au Whole Earth Catalog de Steward Brand et aux recherches des Romantiques allemands, comme l’Encyclopédie de Novalis. Il apprécia ce que nous voulions faire, et il accepta de faire de Flammarion l’éditeur et le distributeur du Répertoire. #
Fin 1976, Pierre Bédard, compagnon de Michelle Favreau, nous convainquit de faire l’acquisition d’une presse et d’imprimer notre ouvrage “révolutionnaire” nous-mêmes, à la manière des marxistes du début du XXe. #
Jean-Michel, dans son message ci-dessous, rappelle le capharnaüm que devinrent alors les locaux de Mainmise, transformés en atelier d’édition. C’est tout un mode de vie qui changeait. #
Voyant notre manque d’expérience, et la qualité très médiocre des pages imprimées, craignant que le Répertoire ne voie jamais le jour, il prit le taureau par les cornes et nous imposa, pour notre bonheur, un imprimeur professionnel. #
C’est grâce à lui que l’ouvrage put voir le jour en mars 1977, ouvrage que nous avions entièrement composé nous-mêmes. #
Et c’est grâce à lui aussi que 11 000 exemplaires du Répertoire furent vendus en un an. Je salue en lui l’un de mes plus vieux et plus chers amis. #
Jean-Michel Sivry
17 août 2010, à 13:30
Re: Georges Khal
Allo allo cher ami, #Merci de ton message. #
Je viens aussi de recevoir des courriels de Rolf et de Michel St-Germain qui concernait la mort de notre ami. Et je l’avais aussi lu dans Le Devoir quand cela a été annoncé. #
C’était un chic type. Il me semble que Georges a fait ce qu’il a voulu faire, toute sa vie, et ainsi j’espère qu’on peut aussi se rappeler que sa vie a été bien remplie. Qu’elle fût une belle vie. Ne l’ayant jamais revu depuis une trentaine d’années, mes souvenirs ne peuvent évidemment qu’être très idéalisés. Je le trouvais merveilleusement sympathique et bon. La profondeur de ses convictions, son charme et ses connaissances m’impressionnaient. #
Son choix d’exil m’a paru lumineux et je crois, Christian, que nous sommes, toi et moi, bien placés pour endosser ce désir de sentir “que des oiseaux sont ivres d’être parmi l’écume… “. Je ne serais pas surpris que nous partagions, d’expérience, ce sentiment que “nul n’est prophète en son pays”. Enfin, j’appréciais son calme tranquille, et surtout l’étincelle merveilleusement pétillante de son regard. #
Malheureusement, je ne pourrais me rendre à la commémoration que vous organisez, ne me trouvant pas au Canada le 3 septembre. J’en suis désolé et mon coeur certainement sera avec vous. #
Jean-Michel Sivry#
17 août 2010, à 19:08
Re: Georges Khal #Tu me ramènes à quelques souvenirs aimables. Il est vrai que notre amitié s’est d’abord construite sur cet improbable chantier du Répertoire québécois des outils planétaires dont je fus l’éditeur. #
Lorsque les joyeux babas de Mainmise m’ont parlé de leur projet, c’est toi Christian et lui, Georges, avec qui j’ai surtout travaillé et qui tentèrent de me redonner confiance au fur et à mesure que s’imprimaient sur des presses à bras, ou presque, les milliers de pages de couleur du projet initial, celles qui s’entassaient pile après pile de 5000 feuilles, dans l’incroyable désordre de la maison communautaire du bas de la rue St-Denis, colonisée par les chats-rois. #
Ah, comme j’ai dû vous paraître ridiculement conventionnel de vous arracher ce premier bébé mort en couches, pour m’en remettre, finalement, à un imprimeur de métier, capable de relier le tout et de travailler avec méthode. Et que sont devenues les pages couleur inutilisées ? C’est une question que je me pose toujours. #
Il y eut une autre étape cruciale de notre rencontre de ces années-là ; les premières séances fondatrices de ce qui deviendra Le Berdache, mensuel de défense des droits civils des gais. Cela se déroulait dans l’appartement de Jean Basile sur Laval. Et c’est le titre lui-même de cet outil planétaire parmi d’autres qui aura son utilité pendant trois ou quatre ans, que le Québec doit à Georges Khal et à Christian Allègre. #
Voilà quelques étapes lointaines vite évoquées de sa belle aventure humaine. C’est sûr : Georges était quelqu’un de bien. #
Si tu as envie de faire un peu de collage pour le blogue, cher Christian, voilà que les 20 dernières minutes m’ont fait rêver….et voici (ci-dessus) un paragraphe complémentaire pour lui rendre hommage. Fais en ce qu’il te plait, s’il te plait. Bises. JM #