Les origines de Mainmise racontées par Georges Khal
August 10th, 2010 by Marc-André BrouillardEn septembre 2004, Georges Khal m’envoyait ce qu’il avait appelé «historique rapide des origines de Mainmise». Voici tel que reçu, ce précieux récit, qu’il a d’ailleurs raconté partiellement dans un entretien radiophonique avec Robert Blondin en 1993. N’hésitez pas à corriger la mise en page ou ajouter des hyperliens si vous le souhaitez. #
Vu de mon perchoir bien sûr, et avec sauce très désordonnée – GK
1964, juin, je sors du cours classique, B.A, propre à tout bon à rien, mais avec une base profonde qui de Platon jusqu’à Camus me donne des ailes… #
1964-65 : un an perdu à l’U de M qui refuse stupidement de m’accorder le droit de faire des études interdisciplinaires pour préparer une maîtrise en Cybernétique, nouvelle science que j’avais découvert seul en 1960 et qui me fascinait (je crois avoir été le premier à l’être à Montréal), et qui sera un des vecteurs de la pensée mainmisienne… #
1965-66 : écœuré, je tente ma chance en Europe avec Jean Piaget à Genève dont le dernier livre indique qu’il vient lui aussi de découvrir la Cybernétique… l’U de G, aussi imbécile, que celle l’U de M, me refuse l’admission sous prétexte que je suis canadien et ne suis donc pas apte à étudier en français (osti d’tabarnak) (ceci est une histoire absolument véritable). #
Je voyage alors pendant huit mois en Europe, découvrant entre autres l’Italie et la Grèce (ma patrie spirituelle). Mais un an en Europe suffit à m’en dégoûter, la France surtout dont le climat intellectuel sclérosé et obsédé de linguistico-sémiotico-marxistico-spaghetti de merde me donne la nausée. #
Je décide de ne plus jamais lire en français, et m’engloutit dans la littérature américaine. #
1966, je retourne en Amérique du nord, un continent qui respire…3 mois à New York dans le East Village, j’y découvre chez les copains musique rock californienne, Grateful Dead, Jefferson Airplane, le cannabis, l’œuvre de Marcuse et surtout celle de Norman O. Brown (Marcuse et N.O. Brown c’est le rapport entre Marx et Nietzsche… Marcuse encore européen, Brown américain, professeur californien, la différence totale mais complémentaire). #
1966-67, de retour à Montréal les écailles tombent, je deviens hippie et pusher ! LSD durant l’Expo de Montréal… turn on, tune in, drop out… #
1967-68, je plonge dans la presse underground américaine, le superbe et éclaté Logos publié à Montréal; les interviews fabuleux à l’époque de Playboy; l’œuvre de Timothy Leary; celle du visionnaire Buckminster Fuller; l’incroyable Whole Earth Catalog de Californie; l’œuvre capitale du prophète Marshall McLuhan (qui lu sur la marijuana est d’une clarté éblouissante); mon grand héros, Abbie Hoffman, Revolution for the Hell of It, ce Till l’Espiègle qui fait le pied de nez au marxisme macabre et irréel des intellectuels francophones (France et Québec); le romancier Norman Mailer… etcetera………………. #
1968, le mai 68 de France, enfin ils se réveillent, et surtout la convention démocrate à Chicago, et l’irruption médiatique des Yippies… #
Automne 1968, je suis toujours pusher. #
Un jour un appel de Jean Basile qui veut acheter de l’herbe. #
Je ne le connais que comme critique de théâtre au Devoir. #
Je viens juste de lire un article de lui qui descend en flamme une production de Jean-Louis Roux. #
Au téléphone il se présente. #
Ma première réplique : Vous êtres bien méchant avec JLR… #
Réponse immédiate : C’est parce qu’il est très mauvais… #
Cinq minutes plus tard, à propos de je ne sais plus quoi, je lui cite en latin les 3 premiers mots de l’Énéide, Arma virumque cano, et nous voilà dans la poésie latine… #
Et voilà qu’il découvre ahuri un petit pusher, citant Virgile, fanatique de Mozart, inconditionnel de Led Zeppelin et Pink Floyd.
On se rencontre le lendemain et c’est la découverte réciproque de deux âmes sœurs, deux grands enfants……….. Riches de tous les ancêtres du monde…… #
Des mois durant nous fumerons herbe et dropperons acide ensemble tout en écourtant les derniers disques rock sortis, et les symphonies de Mahler, et Tommy et Haendel… #
Et surtout nous rions comme des fous, deux vedettes de la pataphysique internationale… #
Je lui fais découvrir tous les écrits américains, la nouvelle pensée… #
À l’époque j’avais commencé à écrire un livre sur la marijuana qui empruntait la mise en page éclatée et électrico-trippée des livres récents de McLuhan, nous voilà en plein tribalisme de l’oreille… the medium is the damn message… #
Basile me donne ses romans publiés à lire, mais j’en suis incapable, tout ce qui est écrit en français ne rentre pas, mes yeux glissent sur cette langue en apparence morte (j’avoue avoir été très injuste)… #
Mai 69, je suis arrêté par le RCMP qui découvre accidentellement chez moi (longue histoire) un kilo de cannabis; condamné à un an de prison je ne ferai que six mois à Bordeaux… #
À ma sortie début janvier 1970, je revois Basile et il me propose de continuer ensemble à écrire le livre sur la marijuana, mais après des mois de recherches et de documentation, l’évidence éclate, il y a trop de matériel, et surtout il ne s’agit pas seulement d’une herbe, mais de toute une révolution culturelle, et voilà l’idée qui pointe de faire un magazine… qui va durer dans le temps… #
Un des amis de JB, de Toronto, avance une somme de $5000 pour financer le projet… #
Et nous voilà partis. #
Lors de l’écriture du manifeste je trouve le nom de Mainmise, inspiré d’Abbie Hoffman : reprenez en main tous les pouvoirs qu’on vous a enlevés, c.à.d. faites “mainmise” sur ce qui vous appartient et que vous avez abandonné aux prêtres, aux médecins, aux politiciens, aux spécialistes, etc. #
Donc pour moi Mainmise c’était à la fois reprendre ce qui nous appartient, de mettre la main à la pâte et aussi le geste de bénir… #
Le manifeste s’inspire entre autres de Nietzsche et de Rabelais (notre cher et grand ancêtre), la Gaya Scienza… Thélème ! #
Je lui montre un jour un livre de poche américain avec mise en page éclatée à la McLuhan et JB décide que le magazine sera un bimensuel format livre mais avec la même type de mise ne page. #
De juin à octobre 70, travail de préparation et formation de l’équipe de fondation… #
Entretemps il avait convaincu les Grand Ballets à mettre en spectacle Tommy de The Who (qu’il adorait)… #
Sortie en octobre 70; le jour de la première de Tommy à la Place des Arts, le premier numéro de MM sert aussi de livret pour le spectacle… #
Nous sommes sûrs que dans le climat politique d’octobre 70, nous allons être arrêtés par la police, mais rien… on nous laisse en paix et Mainmise continuera sa carrière jusqu’en 1978… #
Le magazine aura été vraiment l’union France-USA (les deux seuls pays à vocation universelle), fusion visible de l’unique plateforme qu’est le Kébek, l’alternatif et universel Kébek, pour le distinguer du Québec, province parmi d’autres… #
Mainmise, symptôme et résultat de la vocation nord-atlantique et nord-américaine du Kébek (pour le distinguer de l’autre Québec)… ce sera un magazine [nord]-américain mais écrit en français (à noter qu’il n’y a pas eu un seul penseur français contemporain à avoir la moindre influence sur ce que fut Mainmise dans les premières années, sinon de loin Teilhard de Chardin, quelques poètes, Cocteau, Henri Michaux un peu, et les classiques…) #
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August 10th, 2010 at 21:52
Fantastique, Marc-André!